Quand la protection de la nature devient une arme de guerre

Quand la protection de la nature devient une arme de guerre

Quand la protection de la nature devient une arme de guerre 1498 1000 Zamba Lobi

La protection des forêts de la République Démocratique du Congo est devenue un nouveau front, géopolitique et informationnel. Sous le vernis respectable de la conservation et de la finance carbone, un « colonialisme vert » s’installe.

Il s’appuie sur une guerre informationnelle qui disqualifie l’État congolais, et prospère dans le chaos sécuritaire entretenu, notamment à l’Est du pays, avec l’intensification de la guerre de prédation et d’agression, à travers le M23. Ce système, loin de sauver les forêts, organise la dépossession des communautés locales, sape la souveraineté nationale et perpétue un cycle de prédation. Pour les populations de la RD Congo, l’enjeu n’est plus de participer à un agenda écologique défini par d’autres, mais de mener une contre-offensive stratégique pour réaffirmer sa souveraineté sur sa terre, son narratif et son avenir.

Un pays-solution ?

La RDC, avec le bassin du Congo, est célébrée comme un « pays-solution » face à la crise climatique mondiale. Ce statut, qui devrait être un levier de développement et de puissance, est paradoxalement devenu une source de vulnérabilité. Le discours international, focalisé sur l’urgence de préserver ce « poumon de la planète », a ouvert la porte à une nouvelle génération « d’aventuriers », d’ONG aux allures d’États supplétifs et de spéculateurs de la finance carbone.

Cette dynamique est particulièrement explosive à l’Est du pays. Dans les provinces du Kivu et de l’Ituri, les efforts de conservation se superposent à une guerre chronique, réactivée par le M23 et ses parrains. L’insécurité systémique, loin d’être un obstacle, devient un catalyseur : elle crée un vide que des acteurs externes s’empressent de combler, et offre un écran de fumée parfait pour le pillage des ressources, qu’elles soient minières ou, désormais, « carbone ».

La problématique est donc la suivante : comment l’impératif écologique est-il instrumentalisé pour mettre en place une nouvelle forme de domination en RDC, et comment la guerre à l’Est sert-elle de condition facilitatrice à ce projet?

Idées majeures

Pour répondre à cela, notre analyse repose sur trois dynamiques interconnectées qui structurent ce nouvel échiquier.

Dynamique 1 : Le « colonialisme vert », qui est une prédation sous couvert de vertu.
Le concept de « conservation » est en train de muter. Des organisations comme African Parks, financées par des intérêts occidentaux, prennent de facto le contrôle de vastes pans du territoire national. En échange d’une gestion jugée plus « efficace », elles imposent un modèle de « conservation-forteresse » : militarisation des gardes forestiers, restrictions d’accès et déplacements de populations locales qui vivaient en symbiose avec ces forêts depuis des générations. Comme le souligne le chercheur Olivier van Beemen, ces parcs deviennent des « musées de la nature » vidés de leurs habitants, au mépris de leurs droits et de leurs savoirs ancestraux.
Parallèlement, la « finance verte », notamment le marché du carbone, crée une nouvelle ruée vers l’or. Des acteurs privés, décrits par le quotidien français Le Monde comme des « aventuriers », signent des contrats opaques sur des millions d’hectares pour en commercialiser les crédits carbone. L’État et les communautés sont souvent court-circuités, transformant la forêt, notre héritage commun, en un actif financier dont la valeur est captée à l’étranger. Il ne s’agit plus de protéger la nature, mais de contrôler la terre et ses ressources sous un nouveau prétexte.

Dynamique 2 : La guerre informationnelle comme arme de légitimation.
Ce colonialisme vert ne pourrait s’imposer sans une offensive informationnelle permanente. Comme l’analyse l’École de Guerre Économique, cette guerre des récits vise à construire un consensus international autour d’une idée simple : l’État congolais est défaillant, corrompu et incapable de protéger son propre patrimoine ; les populations locales sont des menaces pour la biodiversité (agriculture sur brûlis, braconnage).
Ce narratif, martelé dans les médias et les rapports internationaux, justifie l’intervention extérieure comme une nécessité morale et technique. Il disqualifie toute tentative de l’État de reprendre la main et criminalise les communautés locales. En nous présentant comme un problème, on légitime la solution imposée de l’extérieur. C’est la fabrique d’un consentement à notre propre dépossession, une étape cruciale pour affaiblir la souveraineté nationale avant même l’arrivée sur le terrain.

Dynamique 3 : La « guerre du M23 », un accélérateur de la crise et un paravent pour l’exploitation.
L’insécurité endémique dans l’Est de la RDC, exacerbée par la guerre du M23, n’est pas un phénomène distinct de la crise écologique. Elle en est le partenaire systémique. L’organisation américaine Mongabay le démontre clairement : les aires protégées sont au cœur des zones de conflit. Cette instabilité a un double effet. Premièrement, elle rend toute politique publique souveraine de gestion environnementale quasi impossible, renforçant le narratif de « l’État failli ». Deuxièmement, elle crée une économie de guerre où les groupes armés, y compris le M23, se financent par l’exploitation illégale des ressources forestières (bois, charbon de bois « makala », minerais extraits dans les parcs). Le chaos est rentable. Pour les acteurs du colonialisme vert, cette insécurité justifie leur approche militarisée et leur permet d’opérer dans une zone grise, loin du contrôle de Kinshasa. La guerre fournit le chaos, le colonialisme vert offre un modèle de « gestion » de ce chaos qui bénéficie à des intérêts extérieurs.

Stratégie de reconquête

Face à cette menace multidimensionnelle, une réponse purement technique ou militaire est insuffisante. La RDC doit déployer une stratégie de reconquête de sa souveraineté multiforme qui implique les décideurs politiques et gouvernementaux, ainsi que les acteurs de la société civile.

Pour les décideurs politiques et gouvernementaux, il s’agit de :

Reprendre le contrôle du narratif : Élaborer et promouvoir activement une Stratégie Nationale de Souveraineté Écologique. Celle-ci doit affirmer que les communautés locales sont les premières gardiennes de la forêt et non ses ennemies. Utiliser les plateformes diplomatiques (UA, ONU) pour porter ce contre-récit.

Auditer et réguler fermement : Décréter un moratoire sur tous les nouveaux contrats de concession forestière et de crédits carbone. Auditer tous les contrats existants, en particulier ceux d’acteurs comme African Parks, pour évaluer leur impact social et leur alignement avec l’intérêt national. Imposer un cadre légal contraignant qui garantisse une juste part des revenus pour l’État et les communautés.

Dé-corréler sécurité et conservation : La pacification et le rétablissement de l’autorité de l’État à l’Est sont la condition sine qua non de toute politique de conservation durable. Refuser la militarisation de la conservation et œuvrer à la démobilisation des groupes armés, tout en intégrant les savoirs locaux dans les stratégies de protection. La sécurité doit servir la conservation, et non l’inverse.

 

Pour la société civile, les intellectuels et les médias, il s’agit de :

Bâtir une contre-expertise nationale : Documenter systématiquement les impacts du colonialisme vert : violations des droits humains, accaparement des terres, opacité financière. Produire des données et des analyses indépendantes pour déconstruire le narratif dominant et armer nos négociateurs.

Fédérer les communautés locales : Appuyer l’organisation des communautés pour qu’elles puissent défendre leurs droits, participer aux décisions et proposer des modèles de gestion communautaire des forêts (foresterie communautaire) comme alternative crédible et efficace au modèle de la « conservation-forteresse ».