Après l’aide au développement, la microfinance et les investissements directs étrangers, le monde des experts a trouvé une nouvelle potion magique pour l’Afrique : le crédit carbone. Sur le papier, la recette est séduisante. Les pays du Nord, grands pollueurs, paient les pays du Sud, riches en forêts, pour qu’ils ne coupent pas leurs arbres. C’est le fameux « marché volontaire du carbone », une solution « gagnant-gagnant » qui permet de sauver la planète tout en finançant le développement. Un récit merveilleux, digne des meilleurs slogans marketing.
Mais comme souvent, lorsque le conte est trop beau, il est sage de regarder derrière le rideau. Et le cas de la République Démocratique du Congo est, à ce titre, un cas d’école.
Un contrat tombé du ciel (de Dubaï)
En 2022, la RDC signait en grande pompe un accord-cadre avec une société émiratie, Blue Carbon. L’objet ? La gestion de concessions forestières sur un territoire grand comme le Royaume-Uni, destinées à générer des crédits carbone. L’affaire du siècle, nous dit-on, qui pourrait rapporter des milliards.
Pourtant, quelques détails détonnent dans ce tableau idyllique. Comme le révèle une enquête du média Afrique XXI , Blue Carbon est une coquille quasi-vide, créée moins d’un an avant la signature, sans aucune expérience dans la gestion forestière, mais avec des liens directs avec la famille régnante de Dubaï. Plus troublant encore, le contrat, largement opaque, octroierait 51 % des revenus à cette société novice, laissant à la RDC, propriétaire de la terre, des arbres et de l’air, une part minoritaire. C’est un peu comme si vous louiez votre maison et que le locataire empochait la majorité du loyer. Ubuesque.
La mécanique de l’illusion
Au-delà de ce contrat aux allures de marché de dupes, c’est toute la logique du système qui mérite d’être déconstruite. Le mécanisme principal, dit de « déforestation évitée », repose sur une fiction : prouver que sans ce projet, la forêt aurait été détruite. C’est ce qu’on appelle « l’additionnalité ». Or, comment prouver un futur qui n’aura pas lieu ? C’est un exercice de haute voltige spéculative, qui ouvre la porte à toutes les manipulations. On peut aisément exagérer les menaces pour faire gonfler la valeur des crédits.
Ne nous y trompons pas. Ce qui est vendu n’est pas tant la vertu écologique que le droit de polluer. Pour une multinationale pétrolière ou une compagnie aérienne, il est bien plus simple et moins coûteux d’acheter une conscience verte sur le marché congolais que de transformer en profondeur son modèle économique polluant. Le crédit carbone devient un permis de polluer délocalisé, une astuce comptable qui donne l’illusion de l’action.
Pendant ce temps, pour les communautés locales, gardiennes ancestrales de ces forêts, le résultat est bien réel : la dépossession. Leurs terres, leur héritage, sont mis sous cloche, transformés en une marchandise abstraite sur un marché financier mondialisé. On leur interdit l’accès à leurs moyens de subsistance au nom d’une écologie dont les bénéfices financiers leur échappent totalement.
Le néocolonialisme en habits verts
Le business du crédit carbone en RDC n’est pas une solution, c’est le symptôme d’un mal plus profond. C’est la continuation, sous un vernis vert et moderne, d’une logique prédatrice séculaire. Hier, on pillait le caoutchouc et le cuivre ; aujourd’hui, on s’accapare l’air et la capacité de la nature à se régénérer.
Le résultat est le même : un transfert de valeur du Sud vers le Nord, une souveraineté nationale bradée sur l’autel d’intérêts étrangers et de la complicité d’élites locales, et une population maintenue dans le rôle de spectatrice de sa propre dépossession. C’est la parfaite illustration de la « fabrique » d’un État qui ne sert pas ses citoyens, mais facilite l’extraction de ses richesses, qu’elles soient minières ou, désormais, atmosphériques.
L’écologie sans la souveraineté et la justice sociale n’est qu’une nouvelle forme de servitude. Avant de signer le prochain contrat « vert », nos dirigeants feraient bien de se poser quelques questions simples.