Pour une refondation souveraine de la gouvernance forestière en RDC

Pour une refondation souveraine de la gouvernance forestière en RDC

Pour une refondation souveraine de la gouvernance forestière en RDC 1024 768 Zamba Lobi

Face à la levée du moratoire sur les concessions forestières et à l’appétit insatiable pour ses ressources, que doivent faire les congolais ? C’est à cette question que nous essayons d’esquisser des pistes d’action concrètes pour que l’État, les leaders d’opinion et la société civile transforment cette menace (pour la forêt du bassin du Congo) en une opportunité de refondation nationale. Parce que la gouvernance forestière n’est pas simplement une question écologique mais aussi un enjeu de souveraineté nationale, de cohésion sociale et de capacité des dirigeants à rompre avec un cycle de prédation.

Un point de rupture annoncé

La RDC et les forêts du bassin du Congo (dont la RDC est le principal dépositaire) constituent le deuxième plus grand poumon de la planète. Si de nombreuses études, expériences et autres expertises ont démontré l’importance de ces forêts pour la régulation climatique mondiale, mais aussi pour la biodiversité et la subsistance de dizaines de millions de personnes, aujourd’hui, ce patrimoine vital, pour l’humanité, est en péril.

Nous pouvons pointer deux signaux d’alarme pour illustrer l’urgence de la situation. Tout d’abord, en 2021, le gouvernement congolais a décidé de lever le moratoire de 2002 sur l’octroi de nouvelles concessions d’exploitation forestière industrielle. Ensuite, les autorités congolaises ont mis aux enchères de blocs pétroliers et gaziers qui empiètent sur des zones forestières et des tourbières riches en carbone. Ces deux décisions viennent s’inscrire dans une longue histoire de réformes avortées et d’une gouvernance où les lois peinent à être appliquées, et cela pour le profit d’intérêts puissants et le plus souvent étrangers.

A l’approche des échéances internationales majeures comme la COP30, en novembre 2025 à Belem, au Brésil, tous les yeux ou presque sont tournés vers la RDC. Peu importe que la RDC soit présentée ou perçue comme un « pays solution » pour le climat, est-ce que la RDC a la volonté et la capacité politique de traduire ce statut en une réalité protectrice pour sa « terre-mère » et ses populations ?

Au-delà des arbres et du carbone

Aujourd’hui, réduire l’enjeu forestier à une simple variable économique ou environnementale serait une erreur stratégique. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit en réalité d’une lutte pour l’âme du Congo, d’une lutte qui révèle les fractures profondes du contrat social et de l’exercice du pouvoir.

Que les choses soient claires : La mauvaise gouvernance actuelle n’est pas le fruit du hasard ou d’une simple incapacité technique. Non. Elle est le symptôme d’un système délibérément conçu pour affaiblir les institutions et faciliter l’extraction des ressources au profit d’une élite compradore et de ses partenaires extérieurs. Ce mécanisme, que l’analyste politique et philosophe congolais, Jean-Pierre Mbelu a décrypté dans son livre  » La fabrique d’un État raté », perpétue un cycle où la richesse quitte le pays, laissant derrière elle la pauvreté, les conflits et un environnement dégradé. Le modèle de l’exploitation forestière industrielle, présenté comme une voie de développement, s’est avéré être, dans les faits, un outil de paupérisation et de dépossession.

La véritable souveraineté ne se mesure pas à la capacité de signer des contrats, mais à celle de contrôler ses ressources pour le bien-être de son peuple. En bradant son patrimoine forestier sans garanties sociales et environnementales robustes, l’État congolais ne fait pas acte de souveraineté, mais de soumission. Il se positionne comme un intermédiaire facilitant une guerre de prédation économique, plutôt que comme le gardien de l’héritage national. C’est une perte de contrôle sur le destin collectif.

Derrière les décisions politiques se cache une guerre des idées. Le discours dominant oppose fallacieusement « développement » (exploitation industrielle) et « conservation » (stagnation). Cette rhétorique masque une vérité simple : les véritables gardiens des forêts, les communautés locales et les peuples autochtones, sont systématiquement exclus des décisions et des bénéfices. Leur savoir ancestral est ignoré et leurs droits bafoués. Imposer un modèle de gouvernance durable, c’est aussi gagner cette bataille narrative et réhabiliter une vision du monde où l’humain et la nature ne sont pas en opposition.

Pistes pour une refondation stratégique

L’impasse actuelle, au niveau de la gouvernance forestière en RDC, permet de tirer un certain nombre de leçons. Tout d’abord, il apparait clair que s’il n’y a pas de « malédiction des ressources », il y a assurément mauvaise gestion des ressources ; La richesse naturelle ne devient une bénédiction que si elle est encadrée par des institutions fortes, une vision à long terme et un leadership au service de l’intérêt général. Ensuite, nous devons nous mettre en tête que le modèle de développement extraverti a échoué, au Congo, mais aussi ailleurs en Afrique ; L’Afrique ne se développera pas en étant une simple pourvoyeuse de matières premières brutes, la véritable valeur se crée dans la transformation, la protection et la valorisation durable. Enfin, et même si cela devrait sonner comme une évidence, la situation de la RDC nous rappelle que la souveraineté se construit par la responsabilité ; Un État souverain est avant tout un État responsable devant son peuple et les générations futures. La protection du patrimoine naturel est un acte de souveraineté fondamental.

Parvenir à une gouvernance durable exige un courage politique et une mobilisation de toutes les forces vives de la nation. Il ne s’agit pas de réformer à la marge, mais de changer de paradigme.
Dans cette perspective, pour les dirigeants congolais et l’Etat congolais, nous recommandons de :
• Opérer un renversement stratégique : Il s’agit d’abandonner la vision court-termiste de l’extraction à tout prix. La véritable richesse de la forêt réside dans sa préservation : services écosystémiques, crédits carbone, pharmacopée, écotourisme et surtout, le bien-être des communautés. Cela implique de rétablir le moratoire, d’annuler les concessions illégales et de soumettre tout projet futur à des critères sociaux et environnementaux draconiens.
• « Renverser la pyramide » du pouvoir : En effet, le changement doit venir de la base. Il est impératif de faire de la foresterie communautaire le pilier central de la politique forestière nationale. Cela signifie sécuriser les droits fonciers des communautés locales, leur donner les moyens techniques et financiers de gérer durablement leurs forêts, et garantir qu’elles soient les premières bénéficiaires des financements climatiques.
• Mener une diplomatie de souveraineté : Il serait judicieux d’utiliser les plateformes internationales comme la COP30 non pas pour mendier de l’aide, mais pour exiger la justice climatique et des partenariats qui respectent la souveraineté congolaise et soutiennent directement les solutions locales.

Dans le même d’ordre d’idées, pour les organisations de la société civile congolaise, nous recommandons de :
• Intensifier la « bataille des idées » : Oui, il faut continuer le travail essentiel de documentation, d’enquête et de plaidoyer pour déconstruire les faux récits. L’objectif est de provoquer une « insurrection des consciences » à l’échelle nationale et internationale sur les véritables enjeux.
• Bâtir des contre-pouvoirs citoyens : Il faut développer des collectifs citoyens pour, notamment, renforcer la capacité d’organisation des communautés locales à défendre leurs droits. Il faut renforcer les collectifs citoyens pour pouvoir utiliser tous les leviers (juridiques, médiatiques, politiques) pour demander des comptes aux dirigeants et aux entreprises.
• Agir comme des « relayeurs » pour l’avenir : L’éducation et la mobilisation de la jeunesse sont cruciales. Il faut former une nouvelle génération de leaders conscients que l’avenir du Congo se construira sur la protection de son patrimoine et non sur sa liquidation.

Le Congo face à son destin

La question de la gouvernance forestière en RDC est bien plus qu’une ligne dans le budget de l’État ou un chapitre dans les rapports sur le climat. C’est le miroir dans lequel le Congo contemple son propre reflet : celui d’une nation en proie à la prédation ou celui d’un peuple qui se réapproprie son destin. Le chemin vers une gestion durable est une voie de refondation exigeante mais nécessaire. C’est l’acte par lequel la RDC peut enfin commencer à guérir les blessures de son histoire et à construire un avenir digne de ses immenses potentialités. « L’arbre est un professeur. Celui qui sait l’écouter et le comprendre trouve la voie de la vérité. »